Histoire Il est mort. C'est ce qu'on te dit à peine passes-tu la porte. C'est ce qu'on te dit alors que tu ne comprends rien. Qu'est-ce que la vie, qu'est-ce que la mort, ça veut dire que tu ne le reverras plus jamais ? Tu ne sais pas si tu dois pleurer, tu ne sais pas si tu dois rire. Tu ne sais pas comment réagir. Il est mort, et alors ? Qu'est-ce qu'il va se passer maintenant, qu'est-ce que vous allez faire ? Tout le monde pleure, tout le monde est triste alors tu l'es aussi. Tu laisses tomber tes larmes, doucement elles coulent sur tes joues sans que tu ne saches vraiment pourquoi. Papa est mort. C'est ce que tu comprends maintenant. C'est ce que tu vois. Le corps inerte dans le lit d'hôpital, tes frères qui se câlinent, ta sœur qui berce le petit et toi. Toi seul au monde. Toi seul face à la mort. Maman, maman ? Mais maman n'est pas là pour t'aider, elle tient la main du mort dans la sienne, elle tient la main du défunt comme si elle voulait le rejoindre. Et toi ? Toi. Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? Sans père, sans mère ? T'as peur de ça. T'as peur qu'elle t'abandonne. T'as peur qu'elle te laisse tomber. Qu'elle laisse tomber tout le monde. Mais c'est pas le genre de ta mère. Non. Elle a fait des gosses. Des tas de gosses. Il n'y a qu'à voir votre belle famille détruite. Tu as trois frères, deux grands et un petit, et une sœur. Une grande sœur. Une sœur qui fait un peu la maman, des fois. Elle est la seule à s'occuper de toi, elle est la seule qui prend soin de toi, en vérité. Parce que ta mère aime la vie, elle aime la transmettre mais des fois elle vous oublie. Elle s'oublie. Elle a eu une vie votre mère avant, une vie qu'elle regrette, une vie qu'elle voudrait recommencer. Elle était là, tu revois la photo dans le salon, ses cheveux longs, son sourire à en crever le plafond. Toi, tu l'aimes cette photo parce qu'elle te rappelle les histoires qu'elle racontait. Les histoires qui faisaient tes rêves. Ta mère, droite et fière se battant pour les droits des autres, se battant pour ce qui n'était pas à elle. Elle était fière de ce passé fière de ce qu'elle était. Mais des fois elle se regarde. Elle vous regarde. Elle te regarde et elle se met à pleurer. Tu ne sais pas pourquoi, mais elle pleure. Tu ne sais pas ce qu'elle pleure mais tu voudrais le pleurer avec elle, tu voudrais partager sa peine. Des fois, elle se cache pour sortir. Elle vous empêche de sortir, de partir. Elle dit que dehors ce n'est pas sain, dehors ce n'est pas bien. Mais ça c'est parce qu'elle veut échapper aux rires des autres. C'est parce qu'elle veut se cacher des regards qui la jugent, des regards qui se moquent. Parce que ton père n'est pas mort par hasard. Parce que ton père, il n'était pas très gentil avec ta mère. C'était enfantin, une simple tromperie, une cachoterie. Mais il était là, l'homme de sa vie. L'homme briseur de vie. C'était lui la mort qui a emporté ton père avec son virus qui l'a fatigué, avec cette maladie. Alors on se moque de la femme qui s'est laissée avoir. N'était-elle plus assez bonne qu'il est allé voir ailleurs, n'était-il que tromperie qu'il aimait les hommes ?
Elle a pas eu la vie facile, ta mère. Alors tu la pardonnes. Tu lui as dit que ce n'était pas grave. Mais tu n'avais que dix ans, tu n'étais même pas un adolescent. Et doucement, la maison se vidait. Le premier de tes frères est parti. Rageux, en colère contre le monde. Il est parti en disant qu'il ne reviendrait plus jamais. L'autre l'a tout simplement suivi, inséparable. Mais il y avait aussi ta sœur. Elle voulait partir, tout quitter, tout abandonner. Mais il y avait quelqu'un. T'es le seul qui ait trouvé grâce à ses yeux, tu es le seul qui a su comment l'amadouer, l'apprivoiser. Ce n'est pas de ta faute, t'es simplement né dans la mauvaise famille. Elle aussi. Elle te comprenait, elle savait. C'est pour toi qu'elle est restée, pour t'éviter de tomber mais ta chute n'en fut que plus terrible. À trop être préservé, tu avais oublié la dureté de la vie, tu avais oublié la douleur qu'elle pouvait engendrer. Toi, tu vivais dans ton monde, tu vivais dans tes rêves. Dans ce monde qu'elle avait construit pour toi, ta sœur était comme ta mère, les années passaient et c'était elle qui venait s'occuper de toi, de tes problèmes, de tes bêtises. Mais tu n'étais pas un enfant à problème. Tu était plutôt fragile, tu étais plutôt le genre de gosse que l'on maltraite, qui suit, qui ne vit que dans le danger des autres. Puis un jour, c'est tombé. Tu devais avoir quinze ans, quelque chose du genre quand tu as dit que tu étais amoureux. On était heureux, heureux jusqu'à ce que tu dises que c'était un homme, jusqu'à ce que tu avoues qu'il était l'homme de ta sœur. Ils sont choqués. Tu es faible, tu t'en veux, ils t'en veulent. Tu te sens monstre, tu n'es pas normal, tu n'es pas quelqu'un que l'on veut, que l'on désire. Tu sens le regard qui t'accuse, qui te juge. Tu voudrais te cacher, tu voudrais fuir et la sentence tombe. Tu es comme ton père. La comparaison te fait frissonner, la comparaison te tue. Tu ne veux pas. Tu ne veux pas être comme lui, tu ne veux pas. Non. Tu ne veux pas que l'on rit de toi, tu ne veux pas mourir. Tu ne veux pas qu'on t'abandonne, tu ne veux pas qu'elles te laissent tomber. Mais c'est comme ça, tu t'es retrouvé seul. Isolé. Abandonné. Ils ont commencé à s'éloigner. Parce que c'était une maladie, parce qu'elles se méfient. De toi. De ça. C'est là qu'a commencé ta chute. C'est à cet instant précis que tu es mort. Un peu plus chaque jour, tu t'es laissé aller.
Tu as commencé à détériorer ton corps. Ils te diront que c'est bien pratique pour toi, que c'est facile, ils vont même te demander à quoi ça sert de faire ça parce que tu ne sens rien. Non, c'est vrai, tu n'as jamais mal, tu ne connais pas la douleur physique parce que tu ne peux tout simplement pas la ressentir. C'est une maladie comme une autre, une maladie qui fait tout aussi mal que les autres. Parce qu'au final, il te manque quelque chose dans ta vie, il te manque cette sensation de souffrir, d'avoir mal. T'as essayé, t'as essayé de te faire mal, de te faire pleurer, t'a pris ton bras pour une toile, t'y as gravé des choses. Des choses que les autres verront certainement de travers, des choses que le autres verront comme de simples symboles mais tu sais ce qu'ils signifient pour toi, pour d'autres. Ce sont chaque planète, chaque signe que tu as gravé là dans ta peau pour que ça y reste à tout jamais, pour que ton corps en soit à jamais marqué. C'est une obsession, les étoiles, l'astrologie. C'en est presque une maladie. Ca te passionne, ça t'obsède. C'est ça, ça t'obsède. T'y penses sans cesse, beaucoup trop, mais c'était le seul moyen de t'échapper, c'était le seul moyen pour toi d'oublier la haine qu'elles éprouvaient pour toi. Tu les détestes un peu, tu ne les pardonnes plus, tu ne dois plus rien à personne. T'as décidé que si elles ne pouvaient pas t'accepter comme tu étais, alors tu n'avais plus rien à faire d'elle. Ce serait toi contre le monde, contre la vie, contre ta vie. Mais tu as commencé à détruire ton corps, à le prendre pour une toile, une pierre, une stèle sur quoi tu pouvais graver n'importe quoi sans jamais qu'il ne se passe rien. T'es devenu un tableau vivant, et personne ne comprend pourquoi. Les cicatrices çà et là sur tes cuisses qui représentent les signes astrologiques, les constellations par-ci, par-là sur le reste de ton corps comme si ça t'amusait de ressembler à un ciel vivant. Mais tu te disais que peut-être tu serais plus beau comme ça, tu te disais qu'enfin les gens te regarderaient avec les yeux qui brillent. Tout le monde regarde le ciel avec admiration, avec plaisir, avec passion, parce qu'un ciel c'est beau, parce qu'un ciel c'est magique. Tu ne voulais plus du regard accusateur que l'on pouvait te lancer de part ton homosexualité, de part ton envie de t'exprimer. On t'a pris pour un fou, on a dit que tu faisais n'importe quoi, on a voulu te soigner mais toi tu ne voulais rien entendre. Tu ne veux pas parler aux autres, tu ne veux pas de cachetons, tu n'es pas un drogué. C'est ce que tu croyais. Mais les choses arrivent bien plus vite qu'on ne le croit, le premier joint, la première pilule qui rend bien, le premier shoot. Il ne faut pas croire que ça arrive qu'aux autres, il ne faut pas croire qu'à dix-sept ans, t'as pas l'âge. Ca arrive tout le temps, ça arrive n'importe comment. Tu le sais, tu ne le sais que trop bien. T'as abusé, t'es allé trop vite, t'as pas lâché l'accélérateur et tu t'es retrouvé avec une aiguille dans le bras sans même savoir pourquoi. Ca a failli mal finir cette histoire, tu t'es senti partir, tu t'es senti abandonner, tu t'es senti couler. Tu voulais que l'on te sauve mais tu ne savais plus, tu n'arrivais pas à exprimer tes pensées clairement, facilement. T'as trouvé ça parfait. C'était parfait, parce que tu ressentais cette douleur que tu t'imaginais, cette douleur qui te faisait alors vivre. Tu te sentais enfin humain, vivant alors que tu n'as jamais approché la mort d'aussi près.
Ta mort à toi, elle s'appelait Van. C'était court, simple, facile à retenir. Certainement que tu t'en souviendras encore longtemps, il est gravé sur ton corps, en capitale, en moche, en douleur tu l'as écris sur ta hanche. Il était là pour toi, c'est ce qu'il disait. Là pour te rendre vivant, pour te faire ressentir ce que tu n'avais encore jamais ressenti. Il t'a promis monts et merveilles, ils le font tous, et toi t'étais jeune, tout juste dix-huit piges quand tu le voyais avec ses huit années de plus, avec son sourire adorable, avec sa bouille d'ange. Tu ne savais lui résister, tu ne savais faire autrement que l'écouter. Il est le seul qui te regardait comme tu le voulais, qui te regardait comme si tu existais. Tu n'étais pas simplement un drogué, un adolescent qui part en vrille, qui laisse tomber, t'étais Caleb et il t'aimait pour ce que tu étais. Enfin, c'est ce que tu pensais. Toi, tu te l'aimais, tu l'aimes toujours, et tu le vois sans cesse comme le Messie, comme ton sauveur, comme celui qui t'es salvateur. Un jour tu le lui as dit, mais tu ne sais pas trop comment il fallait prendre son rire, comme une moquerie, comme s'il était gêné ? Tu espères croire la seconde solution. Toujours est-il que tu étais complètement à ses pieds. Il te faisait goûter les pires des choses. T'as jamais été trop fêtard, tu préférais prendre pour toi, seul, tu préférais t'enfermer dans ton monde, mais lui te traînait où il voulait sans même te calculer après. Il n'était pas rare que son corps en rencontre d'autres, il n'était pas rare de le voir dans les bras d'hommes ou de femmes, tant qu'il pouvait se faire de l'argent. Mais il revenait en s'excusant, en te disant que c'était son métier, que des fois ils ne pouvaient pas payer autrement qu'en nature. Et un jour, il a dit que toi aussi tu devrais le faire. Payer pour tout ce qu'il t'a offert, payer pour la vie qu'il t'avait donné. Tu n'as pas compris au début, tu ne savais pas quoi faire avant que ton corps ne rencontre le sien. Il a été ta première fois et tu t'es laissé faire, il t'a pris ta virginité et en était fier. Il disait que tu lui appartenait, il marquait son territoire en déposant des baisers sur ta peau abîmée, il la regardait sans rien dire, caressant les plaies violettes, les plaies qui expliquent ton passé. Toi tu t'es emballé, t'as cru au grand amour, t'as voulu y croire. T'as cru que tu pouvais lui faire confiance, t'as cru que tu pouvais l'aimer, t'as cru que tout irait bien. Mais ce n'est pas comme ça que ça se passe, pas avec lui. Tout ce qu'il voit chez toi, ce n'est qu'un corps, un objet, quelque chose qu'il apprécie. Il aime poser ses mains sur ton corps comme il aime les poser sur les corps des autres. Vous n'avez jamais fait ça sobre, derrière il y avait toujours tout un tas de truc, tout un tas de bordel qui fait que vous n'étiez pas vous. Il n'était jamais lui quand il était avec toi, mais tu es tombé amoureux de cette personne-là, tu es tombé amoureux de ce con sans cœur, de ce con qui t'aimera peut-être jamais. Mais tu n'y peux rien, tu n'y pouvais rien. T'as essayé de t'en décrocher, de dire stop, mais il revenait sans cesse te chercher, hurlant que tu étais à lui, hurlant que tu lui devais tout. Il était hystérique, il t'effrayait, te terrifiait mais tu ne pouvais pas t'empêcher de l'aimer. De l'admirer. De penser à lui comme à ton sauveur, comme à celui qui t'a sorti de ta torpeur.
Mais un jour ça s'est mal passé, ta mort t'as presque tué. Tu ne sais pas comment ça s'est passé, tu ne sais plus mais tu as frôlé la mort. Alors tu as dit stop. Stop à lui, stop à tout, stop à ces conneries. Tu n'en veux plus. T'as essayé de te sevrer, t'as essayé de passer à autre chose. T'es resté enfermer, tu l'évitais, il a essayé de te cogner mais il n'y est pas arrivé. Toi non plus, en fait. Tu n'as pas réussi à garder la tête hors de l'eau, tu n'as pas réussi et t'as replonger. C'est plus l'aiguille, c'est plus la poudre, c'est plus le putain de bédot qui fait plus rien, c'est simplement les cachetons. Ceux qu'on te donne contre la dépression. Parce qu'ils ont dit que c'était une dépression, ils ont dit que ça irait mieux. Mais c'est addictifs ces trucs, c'est pas bon pour toi. Mais ils ont pas réfléchis, ils ne réfléchissent jamais. Alors ils t'ont donné ces pilules que tu ne cesses de prendre, dans tous les cas. Pour te calmer, pour te sentir mieux, quand t'es fatigué. Tu dis que ça t'aide et personne n'est là pour te retenir, pour te soutenir. Mais en vérité, au fond de toi, tu voudrais que ça finisse. Que tout ça s'arrête, s'il vous plaît que l'on t'aide.
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