Sac à dos à la main, la fin du voyage, le retour à la maison. Ma pleure pas, elle sourit pas non plus, elle sent juste son cœur qui se resserre, Sinèad elle recule, cette homme elle le connait mais il lui fait un peu peur, elle croit se voire dans un miroir déformant, elle l’envie, pas comme Eileen qui se jette sur lui les bras grands ouverts. Sullivan est revenu, et ce n’est plus le même, il était parti jeune homme, il revient en homme. Si Pa le voyait … mais cela fait longtemps que Pa n’est plus là, un des derniers à être resté au fond de la mine avant qu’elle ne ferme, un des derniers de la famille à scander l’Independence de l’Irlande du Nord, et Sully ne se souvient plus de sa voix depuis longtemps. Mais il y a l’oncle Manny que ses vieux os usés empêchent de serrer fort son neveu dans ses bras. De tous c’est certainement celui qui lui a le plus manqué, ce vieux Manny et son odeur de whisky et de tabac imprégné jusque dans la couleur de sa peau brunis par l’âge.
Brian il a un môme, c’est comme faire un rêve de voir le sourire de se gosse, le seul qui lui sourit vraiment, il a les yeux noirs des O’Breaden, un futur frisé comme disait Ma en parlant des enfants de la famille. Personne n’échappe au physique brute, c’est comme ça chez eux, ils sont nés au font de la terre, et ils y retourneront tous les uns après les autres. C’est certainement pour cela que Sully a fui, cherchant un ailleurs pour s’enterrer, l’Alaska, le Canada, Cuba, ça lui a laissé des cicatrices profondes dans le cœur et sur la peau.
Ma elle croyait fort en son garçon, elle y croit toujours, il a fait des études, il a étudier la psychologie, l’éducation, il avait peur des aiguilles il a fui la médecine, mais c’est un bon garçon qui prend soin des autres, et c’est un homme qui aime trop l’aventure pour rester ici. Ma le sait, c’est pour cela qu’elle ne sourit pas.
Déjà il tournait en rond dans la maisonnette de Belfast, elle l’a laissé de nouveau partir dans cette ville étrange où les fleurs poussent toutes l’année, ça ne ressemble en rien à Bel mais elle sait qu’il s’y sent bien, il prend soin des enfants des autres, elle aimerait qu’il ait les siens un jour, mais elle ne dit rien.
Là, elle prit pour qu’il trouve quelqu’un qui lui fasse du bien. Là-bas il oublie qu’on croit en dieu chez lui et ça lui va plutôt bien.
Sinèad elle l’a rejoint ici et Sully raccommode les trous qu’il a laissé en elle, ils se reconnaissent comme des étrangers et s’aiment comme une famille, c’est comme ça chez les O’Breaden, il y a toujours du sang qui boue et tout le monde a un caractère qui explose au moindre craquement d’allumette.
Cette ville il ne l’aime pas plus que ça, mais les gosses c’est son truc, il réagit toujours avec vigueur, agir avant de parler ou de réfléchir, car il faut combattre le feu par le feu, mais Sully n’est plus si jeune et ça fait déjà pas mal d’année qu’il use ses semelles dans les couloirs du château, il sent que le vent le porte déjà ailleurs, mais c’est la première fois qu’il résiste à l’appel, pour combien de temps lui-même ne le sait pas, mais un jour ça viendra certainement, pour aller où il n’en sait rien mais un jour on le poussera un peu plus loin.
Eileen lui envoie une lettre par semaine, des photos de la famille de Brian, de Manny endormis sur le divan, juste sous le mur où se trouvent les cartes postales décolorées qu’il leur avait envoyé et il se sent coupable d’être repartit, mais rester entre ces murs gris l’aurait certainement rendu taciturne et ça, ça aurait tué Ma. S’il part c’est pour eux aussi, même s’ils ne s’en rendent pas compte, lui, le voit comme ça.
Il y a trop de souvenir là-bas, ici il reconstruit son tout. Il n’est plus le gamin maigrelet que son grand frère poussait à devenir plus fort, il n’est plus le préféré de sa sœur, il n’est plus l’inquiétude d’une mère, ou le petit calme qu’on emmène au bar le temps de se souler, car il faut bien que quelqu’un vous aide à retrouver le chemin. Non aujourd’hui il est juste Sully on l’appel comme ça et ça lui va très bien, ça lui convient, mieux que Sullivan, il est simplement lui, avec son tempérament, ses mauvais comme ses bons jours, et toujours un humour qui laisse à désirer, mais ça, ça ne changera jamais.