Jaya, Durga, la victoire. Jaya, ce fut ce que l’on prononça à son oreille le 10éme jour, sa deuxième naissance. Elle était la joie et l’abondance, l’inaccessible Jaya qui voyait enfin le jour. On lui prédit un brillant avenir, l’honneur de la famille. Jaya…

Avançant dans la pénombre de la nuit, la jeune femme ouvrit la fenêtre, le soir était paisible tout comme la bourgade où elle avait élue domicile. Cela faisait deux nuit qu’elle ne dormait plus, deux nuits qu’elle pleurait sans un bruit. Elle sortit une cigarette et l’alluma inspirant l’épaisse fumée grise, ce n’était pas une grosse fumeuse et elle ne faisait pas partie de ces addict’ qui s’enfilent clopes sur clopes minutes après minutes, c’était plus un plaisir solitaire qu’elle s’octroyait de temps à autre surtout lorsqu’elle était seule et que dans sa tête trop d’images se superposaient.
Charles était mort, elle avait perdu l’homme qu’elle considérait comme son meilleur ami, son soutiens depuis qu’elle était arrivée à Pagford, elle la jeune femme qui n’avait connu que les grandes villes et les appartements luxueux, elle louait ce deux pièces depuis maintenant trois ans et sans Charles elle serait certainement repartie depuis longtemps, mais elle était resté et aujourd’hui c’était chez elle ici.
Charles était mort, et Jaya ne le pleurait que la nuit, laissant pour seule témoin de sa tristesse la lune qui l’éclairait au milieu de cet océan d’étoile.
Demain il faudrait qu’elle ouvre encore son bureau, qu’elle écoute les pleures des autres, les plaintes de ses amis, elle subirait l’inévitable appel hebdomadaire de sa mère qui la supplierait encore une fois de revenir à Londres et d’épouser l’excellent parti qu’elle lui avait trouvé. Cette si grande famille qui n’en avait jamais assez. Toujours plus de mérite, toujours plus d’éloge, toujours plus d’argent, toujours plus de noblesse. Jaya ne leur en voulait pas, ils lui avaient donné tant d’amour dans son enfance qu’elle ne saurait un jour leur rendre. Mais ce n’était pas cette vie-là qu’elle voulait, elle n’était pas devenue chirurgien comme son père et son frère, elle n’était pas devenue médecin comme sa mère, elle soignait autre chose, elle soignait les esprits et parfois les cœurs, toujours en douceur toujours sans jugement.
La victoire, l’inaccessible, c’était le nom qu’on lui avait donné, et peut-être que cela lui collait trop à la peau. On la considérait comme timide et renfermée, parfois elle passait dans Pagford comme un fantôme sans faire un bruit, elle c’était toujours sentie un peu transparente, ne voulant pas prendre trop de place. Mais lorsque la porte de sa maison se refermait sur elle, elle lâchait prise, décoiffait ses cheveux et se mettait à danser, à boire trop de chocolat chaud, oubliant de manger parfois, se laissant aller bien souvent, mais cela elle ne pouvait le montrer à personne, c’était son jardin secret. Et aujourd’hui elle pleurait seule, car Jaya était comme ça, égoïste, elle ne voulait pas partager sa peine, car elle était la sienne et seulement la sienne, et personne ne pouvait comprendre le lien qui l’unissait à Charles, ce n’était pas de l’amour, c’était autre chose, et jamais elle n’avait eu de désir pour lui, mais maintenant qu’il était parti, un morceau de son être c’était fissuré, et elle ne savait pas comment le recoller.
Jaya, le premier jour de sa mort, il était passé maintenant, et plus que jamais elle devenait fantôme aux couleurs chatoyantes et au maquillage impeccable une fois le jour lever, personne ne la connait vraiment, mais elle est là pour les autres, sous le masque, toujours droite souriante, toujours la même Jaya depuis le premier jour.