Un dernier coup d’œil à son téléphone confirma ses craintes. Aucune réponse. Assise sur son lit, Alma fixa d’un air absent l’écran du portable avant de le jeter plus loin devant elle, déclarant officiellement que Camilla avait laissé passer sa chance. Le cœur gros mais l’air décidé, la jeune femme se planta devant son miroir, sourit à son reflet pour retrouver constance et releva ses cheveux avec négligence, cherchant un élastique à portée de main pour les nouer au-dessus de sa tête. Tant pis, se répétait-elle, tant pis. Ce n’était pas la première ni la dernière fois que les choses se compliquaient entre elle et sa petite amie qui avait cette fâcheuse manie d’être aux abonnées absentes après une dispute. Alma savait que le seul moyen maintenant d’avoir une discussion avec elle serait d’aller sur place, à Pagford, et d’ici qu’elle se déplace Cam ne répondrait à aucun de ses appels, aucun de ses messages, puisque madame s’estimait certainement en raison d’appliquer la loi du silence. Piqué, l’Espagnole n’avait pas pour autant envie de lui tomber dans les bras si vite, elle avait sa fierté, son orgueil mal placé, et bien qu’elle connaisse l’issue de cette dispute, elle était profondément lassée que les choses se passent toujours de la même façon entre elles.
De toute manière Alma avait d’autres plans, ce qui lui donnait une autre raison de ne pas céder trop vite au caprice de sa compagne, on pouvait dire que ce rendez-vous tombait à pic. Son regard balaya sa boite à accessoires et son choix finit par se poser sur une paire de boucles d’oreille aux couleurs chatoyante qui lui rappelait la petite femme qu’elle s’en allait rejoindre. Abbigayle Brewer était en effet un véritable rayon de soleil dans ce quartier si terne, tous se demandaient comment elle était tombée là et le pire c’est qu’elle semblait s’y plaire. Alma l’avait instantanément adopté, à peine avait-elle croisé le regard mutin de sa voisine qu’elle avait compris qu’elle venait de se trouver une alliée. Ce n’était pas toujours au goût de son fiancé, mais il n’était pas rare que l’Espagnole invite sa nouvelle voisine chez elle et qu’elle se retrouve à rire aux éclats dans son salon, échangeant à propos de tout et rien. Sa compagnie était agréable et Alma pensait sincèrement que ce lien se transformerait doucement en une amitié sincère.
Quittant sa chambre en claquant la porte, un large cahier de page blanche dont elle avait fait acquisition hier sous le bras, elle lança à la cantonade qu’elle se trouvait en face si on la cherchait mais doutait sincèrement qu’un des membres de la famille Velazquez, chacun perdu dans ses occupations, ne l’ait entendu. Avant de descendre le perron elle jeta un dernier coup d’œil à son téléphone avant de le ranger dans son sac, déçu. Il aurait fallu l’éteindre pour couper toute tentation d’attraper l’engin qui ne cesserait de confirmer que Camilla l’ignorait mais elle n’en eut pas le cœur et se dirigea vers chez Abby en décidant de laisser ça derrière elle.
Elle avait attendu avec impatience ces leçons. Elle ne savait plus comment elles en étaient arrivées là, comment elles avaient convenu exactement leur accord, mais toujours est-il qu’il avait été décrété qu’Abbigayle lui donnerait des cours particuliers de dessins à son plus grand enchantement. Pour être franche, Alma ne s’était jamais vraiment intéressée à cet art, jamais elle n’avait pensée entamer quoi que ce soit dans le domaine, mais comme tout ce qu’elle commençait et qui était nouveau pour elle, elle avait un entrain extraordinaire qui donnait l’impression que rien ne pouvait la rendre plus heureuse à cet instant présent que de commencer cette expérience. Elle sonna à deux reprises avant que sa voisine ne lui ouvre.
La silhouette d’Abby se dessina dans l’encadrement de la porte, l’invitant à entrer alors qu’Alma répondait par un éclat de rire à sa dernière réflexion.
« Hola señorita Brewer. » Dit-elle toujours hilare, embrassant la jeune femme sur la joue avant que cette dernière ne lui présente ses compagnons.
« Kougloff ? » Commenta la jeune femme, arquant un sourcil étonné.
« Il va falloir que tu m’expliques quels mystères se cache derrière ce nom ! ». Sûrement un lien avec un artiste, ou avec la France, pensa t’elle, espérant ne pas trop passer pour une inculte aux yeux de sa professeur…
Alors qu’elle tendait une main vers le bien nommé Brownie, celui-ci déguerpit en direction de la cuisine. Fourbe, se dit-elle, elle avait toujours trouvé les chats plus mesquins et inquiétants que les chiens, bien plus fidèles à son goût. Le félin de Camilla ne l’avait toujours pas adopté malgré ses allées et venu chez elle depuis quatre ans. Aussi elle en tenait rigueur à toutes les boules de poils qui pensait acquis qu'ils étaient mignons aux yeux du monde.
Abbigayle s’enquit de ce qu’elle voulait boire, Alma releva la tête et s’empressa de répondre
« Une bière s’il te plait ! » avant de grimacer, comme si elle avait été prise en train de fauter
« Quoi que… Il est plus commode de demander du thé chez vous les anglais, pas vrai ? ». Une coutume qu’elle n’avait jamais pu adopter, diable, tous lui proposaient toujours une tasse de ce breuvage dont elle n’avait jamais compris l’intérêt, parfois elle se sentait dans l’obligation d’accepter par politesse mais elle n’arrivait jamais à en venir à bout.
« Laisse-moi t’aider ! » Ajouta-t-elle, posant son cahier sur une commode et la rejoignant dans la cuisine sans trop lui laisser le choix.
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